Lech Lekha-Va au dedans de toi (Genèse 12 :1-17 :27)
Lech Lekha-Va au dedans de toi (Genèse 12 :1-17 :27)
Lech Lekha-Va au dedans de toi (Genèse 12 :1-17 :27) Innocent Himbaza
Le récit de l’appel d’Abraham est une vraie mine d’or en ce qui concerne notre expérience au céleste. J’en ai récupéré quelques pierres que je partage ici.
Depuis quelques décennies, on assiste à un regain d’intérêt pour la tournure hébraïque lekh-lekha constituant l’appel adressée à Abraham « le père fondateur » des trois monothéismes, pour qu’il quitte sa terre, sa maison et sa famille et aille vers une terre que Dieu lui montrera. Dieu dit à Abraham qu’en faisant cela, il sera à la fois béni et une bénédiction (Genèse 12 : 1-2). Abraham répond à cet appel en se lançant dans un voyage déchirant avec son épouse Saraï et son neveu Lot. Ce périple va remodeler sa vie et celle d’innombrables autres pour les générations à venir.
Les premiers mots de l’appel de Dieu, « Lekh lekha », peuvent en fait être traduits par « Allez de l’avant », « Aller à toi-même » ou « Aller pour toi-même » Cependant on choisit de traduire ces mots, Lekh lekha par un mouvement : aller vers l’intérieur ou vers l’extérieur, aller au-delà du familier et du confortable, franchir les frontières et se déplacer dans des espaces où nous pouvons (re)découvrir ce qui se trouve au plus intime de notre intimité. C’est un voyage qui commence dans une première pause par écouter, puis en se rapprochant de ce que l’on entend, pense et ressent.
Cette « sortie » dans l’inconnu peut être effrayante. Il y a des habitudes, des rêves et des liens qui doivent être laissés derrière. Il faut du courage et du soutien pour s’éloigner de ce qui est familier.
Heureusement, nous sommes « créés » pour le mouvement. Après tout, nous venons dans ce monde en voyageant à travers un passage sombre après avoir grandi pendant des mois dans l’utérus. Une fois à l’extérieur, nous commençons naturellement à atteindre, à ramper, à marcher, puis à courir. Nous sommes conçus pour « aller de l’avant ! » À mesure que notre cerveau se développe, nous cherchons aussi un sens et un but. Lekh lekha est un appel qui nous reconnecte à l’impulsion naturelle de se développer et de grandir, implantée en nous par Dieu.
Lekh,c’est le verbe halakh signifiant « aller, marcher », conjugué a la forme gal, au mode impératif, a la voix active et à la deuxième personne du singulier, cette première partie est donc bien traduite par «va » ! Lekha est composé de deux éléments :
-Le,une préposition signifiant a, pour, vers
Kha, un suffixe, deuxième personne du singulier, utilisé pour le « toi »
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Lekh-Lekha, une figure de style bien connue dans la Bible hébraïque
Il y a plusieurs textes dans la bible qui ne laissent planner aucun doute que de le traduire par « vers toi ».
J’en cite ici, quelques-uns à titre d’exemple
– Que l’Éternel tourne sa face vers toi (lekha), et qu’il te donne la paix ! (Nombres 6 :26)
– Éternel ! le matin tu entends ma voix ; Le matin je me tourne vers toi (lekha), et je regarde. (Psaumes5 :3)
– J’étends mes mains vers toi ; Mon âme soupire après toi (lekha), comme une terre desséchée. (Psaumes 143 :6)
Dans le Cantique des cantiques, quand le bien-aimé appelle sa bien-aimée deux fois il lui dit lève-toi et viens (Cantique des cantiques 2 :10 et13). En hébreux il lui dit “qoumi lakh” et “lekhi lakh” ce qui signifie “Lève-toi vers toi” et “va vers toi”.
Abraham s’aventure dans l’inconnu avec un sentiment viscéral de connexion à la Source de Vie. Il reconnaît que tout le monde et tout ce qu’il rencontrera au cours de son voyage provient de cette seule Source. C’est ce sentiment d’être tenu par un attachement sûr au Divin qui donne à Abraham la capacité d’accepter l’incertitude qu’il éprouvera en cours de route. L’auteure Joanna Macy écrit : « Dieu merci pour l’incertitude. Lorsque nous savons que l’avenir n’est pas encore décidé, nous pouvons jouer un rôle pour influencer ce qui se passe. » Soutenu par sa relation avec Dieu, Abraham est capable d’embrasser l’incertitude et de participer activement au renouvellement de la vie.
Un des aspects les plus puissants de cette histoire ancienne est que Lekh lekha est un appel au voyage pour nous et pour les autres. Comme l’enseigne Macy, « en relevant le défi de jouer notre meilleur rôle, nous découvrons quelque chose de précieux qui enrichit nos vies et contribue à la guérison du monde ». C’est pourquoi Dieu promet à Abraham qu’il sera « béni » et une « promesse ». En d’autres termes, le travail de découverte personnelle et de libération va de pair.
L’œuvre d’André Chouraqui , LA QUÊTE D’UNE IDENTITÉ : « VA VERS TOI-MÊME » porte l’empreinte, en chacune de ses pages. Je vous livre ici un extrait :
L’exigence d’identité demeure la démarche fondamentale de l’homme. Exigence constante, qui rejaillit à chaque étape de son existence. Exigence douloureuse, comme la blessure d’un aiguillon. Exigence paradoxale, car elle s’assortit d’un autre impératif qui en constitue comme la rançon, cette exigence d’universelle synthèse qui cherche à « nier toute frontière «, à « dépasser toute limite «, avec les risques et les tentations qui en sont inséparables, mais avec aussi. Toutes les chances inhérentes à l’ouverture ainsi provoquée : trouve-toi, définis-toi, rencontre-toi avec toi-même et en toi-même, mais que ce soit toujours en vue d’une connaissance de l’« autre » qui puisse être une « re-connaissance » et pour une communion.